Sur l’efficacité de la messe et l’importance des prêtres
Voici la réponse de Claudel à une lettre d’un prêtre qui n’avait pas le moral.
Cher Monsieur l’Abbé,
Excusez-moi de répondre si tard à votre lettre du 12 mars. Je viens de faire un long séjour à Paris d’où je ne suis revenu qu’il y a quelques jours.
J’ai connu, moi-même, au cours de ma carrière, de longues années de solitude complète au milieu de gens dont je ne parlais pas la langue et qui me rendaient pareil à l’homme du psaume ma place est parmi les morts (le texte ajoute cette parole dont j’ai bien souvent savouré l’amertume : « avec ceux que l’on a tués, enterrés »).
Grâce à Dieu, l’étude et la prière m’ont permis de traverser ces zones désolées qui conduisent à l’Horeb, montagne de Dieu. Mais, il me semble que, prêtre dans votre propre pays, vous avez des ressources que je n’avais pas.
La messe que vous dites chaque matin déverse non seulement sur votre village, mais sur l’humanité tout entière, sur le purgatoire qu’elle dépeuple, un torrent de bénédictions inestimables et incommensurables. Et puis chaque matin, en vous réveillant, ces hommes, ces femmes, ces enfants, vous pouvez vous dire que Dieu vous les a spécialement confiés.
A d’autres il a donné des vaches ou des chevaux, à vous il a donné ces âmes immortelles. Vous êtes leur Christ, capable de leur donner la vie, investi plénièrement d’un pouvoir de vivification, d’illumination, de résurrection.
[…]
Dans ce rôle sublime qu’importent les contretemps et contradictions humaines ? Vous a-t-on promis une croix de carton ? ou une bonne, honnête, lourde croix, et qui est précisément à votre mesure, parce que c’est précisément elle qui vous paraît accablante ? A côté de l’immense joie divine qui vous est réservée et dont vous êtes dispensateur, comme tous ces petits cailloux paraissent peu de chose simplement ridicules !
Croyez-moi, la vocation de prêtre, et je dirai de prêtre de campagne, Notre Seigneur était un prêtre de campagne, est la plus sublime de toutes. Celle d’écrivain est vraiment bien peu de chose à côté.
Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ?
Paul CLAUDEL, le 14 avril 1945